Pourquoi de plus en plus de leaders pensent à la reconversion professionnelle ?
Ont-ils une alternative avant de remettre en question des années de travail ?
Une étude menée par Cadremploi en mars 2021 sur 1800 leaders, nous a appris que la reconversion professionnelle fait partie de l’univers mental de 83 % des cadres aujourd’hui et que 14% en moyenne passent à l’action chaque année. Cependant si 65% le referait, 25% d’entre eux attendraient que le contexte économique soit plus favorable et 10% ne le referaient pas, ayant trouvé l’expérience trop difficile pour eux-mêmes et leur entourage. Être un leader donne peut-être des armes pour réussir une reconversion professionnelle mais ce n’est pas sans demander beaucoup d’énergie et créer beaucoup de tensions autour de soi. Dès lors, comment faire preuve d’audace, sortir du sentiment d’être parfois dans une prison dorée sans perspective, mais sans pour autant remettre en question son équilibre personnel ?
Une prise de conscience de plus en plus dure à avaler
Cadre dirigeant, cadre supérieur ou chef de projet c’est avoir de lourdes responsabilités, des objectifs court terme à atteindre et savoir déployer des trésors de qualités pour manager des équipes. C’est sans compter les heures investies dans les réunions interminables, parfois avec des horaires décalés en fonction de la répartition des filiales ou des clients. C’est sans compter aussi les horaires de travail à rallonge, les reportings qui se cumulent et qui prennent trop de temps sur la vision et la stratégie. Le tout très souvent, au sacrifice de sa vie personnelle ou de sa disponibilité mentale pour son entourage (familiale, amical ou professionnel). 57% des cadres dirigeants disent ne pas trouver un véritable équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Ils sont de plus en plus à se lever le matin, en se répétant que s’ils ont une certaine liberté d’action, ils ont finalement de moins en moins d’autonomie et toujours plus de pression. Ils perdent progressivement leur étincelle et leurs ambitions passées leur paraissent illusoires. De là à se résigner, il n’y a qu’un pas. Comme il s’agit de personnes avant tout convaincues d’avoir une certaine marge de manœuvre sur leur destin, les leaders se mettent alors à imaginer d’autres voies, qui leur permettraient à la fois de développer des convictions personnelles et de mettre leur savoir-faire au service d’un projet qui leur apporterait plus de sens et de satisfaction.
L’ennui dévore le cerveau
A partir de quand se déclenche cette forme de désenchantement qui finit par atteindre le moral des leaders ? Tout commence généralement par le sentiment d’avoir atteint la fin d’un cycle professionnel (48%). Suit de très près, le ressenti de ne plus s’épanouir dans son travail (42%) et de ne plus trouver de sens dans ses missions (38%). Il suffit d’une crise personnelle ou économique ou sanitaire pour qu’il y ait alors une prise de conscience de l’impermanence des choses (37%). 78% des managers aujourd’hui refoulent l’idée qu’ils ne sont pas employés à leur juste valeur : ils se voient cantonner au rôle de super gestionnaire, alors qu’ils se projettent dans la voie hiérarchique, où ils espèrent faire peser leurs idées et leur point de vue, mûrement réfléchis avec l’expérience. Alors de plus en plus fréquemment la lassitude intérieure s’installe, jusqu’à se traduire par des pannes le matin au réveil. Une panne d’envie, d’énergie et de motivation, qui gangrène de plus en plus l’énergie générale. Le fautif : l’ennui. L’ennui au travail nous apprennent les chercheurs, a pour effet de nous rendre triste, moins concentrés, dépressogène et de dormir de moins en moins bien. Le pire dans l’ennui n’est pas l’absence de tâches : c’est l’absence de perspectives et de sens dans ce que l’on fait au quotidien. Cela conduit à « débrancher » – brown-out – c’est-à-dire être là sans être véritablement impliqué. C’est en soi déjà un signal d’un stress élevé, que le leader éprouve face à un manque de stimulations positives, lui donnant un réel sentiment de progresser dans sa vie professionnelle et de s’accomplir à travers ses missions.
La peur du déclassement crée l’attentisme
Inquiets et démoralisés, un tiers des cadres dirigeants exprime un vrai mal-être dans le 3e observatoire Kantar-CFDT réalisé fin 2021. Ils se taisent pour différentes raisons. La peur du licenciement ou d’une PSE mais plus encore, parce qu’ils sont conscients de leurs devoirs de soutien vis-à-vis de leurs équipes. Ils ont aussi des parcours assez individualistes où ils tentent de montrer leur singularité avec l’espoir d’être investis de plus de responsabilités à l’avenir. Ils en concluent que leur état d’esprit est momentané. Livrer leur désarroi actuel, pensent-ils, pourrait être utilisé contre eux. Ils expriment à cet égard une certaine défiance vis-à-vis des DRH. Alors que parviennent à faire ceux qui passent à l’action ? Dans 31% des cas, les circonstances poussent les cadres à faire face à un changement. Pour les autres qui trouve l’audace et l’énergie de se lancer un nouveau défi professionnel, on voit clairement la part d’insatisfaction augmenter dans les sondages (48% vs 38%) et le désir de changement (40%). Preuve s’il en est que le basculement se négocie avec soi-même, autour de la recherche d’équilibre entre la notion d’épanouissement dans ses fonctions et le désir de se lancer un nouveau défi, tout en s’appuyant sur son expérience. A noter que le changement ne se fait pas toujours pour un meilleur salaire : 1 cadre dirigeant sur 3 en reconversion ou en mobilité externe, recherche d’abord du sens, quitte à négocier plus tard un revenu supérieur.
L’action éclairée redonne de l’audace
La meilleure solution est certainement de ne pas attendre que la situation de chacun se dégrade avant d’agir. Les signes d’ennui apparaissent généralement tôt après une prise de poste. Si par-dessus cela, le cadre se retrouve dans une situation conjoncturelle difficile, son sentiment de se retrouver dans une impasse augmente et il commence à perdre une énergie précieuse. La tentation peut être de suivre plus de formations, lire plus de livres sur le management, suivre plus de conférences motivationnelles, etc. mais cela apparaît vite comme un artefact qui ne donne aucune direction précise pour se projeter dans l’avenir et à long terme. De plus 72% des cadres dirigeants savent au fond d’eux-mêmes qu’ils ont plus de chances d’évoluer en interne en restant loyaux à leur employeur. La bonne solution est alors de faire un pas de côté, de s’extraire quelques semaines de la pression quotidienne pour revitaliser son projet professionnel et se remettre au centre de ses priorités. La solution est aussi de ne pas se laisser influencer par des tiers, par effet de contagion (en alarmant son conjoint par exemple) ou en cherchant à se comparer à la réussite d’un autre. Il n’est également pas souhaitable de brasser le passé ou de se demander si une passion pourrait venir alimenter l’énergie au quotidien dans ses fonctions. Il y a très souvent des qualités bien plus subtiles que le leader peut développer en lui pour trouver une nouvelle dynamique professionnelle. Même si l’on assiste depuis quelques mois à de fortes reconversions de jeunes cadres supérieurs bien formés, dans des métiers artisanaux, agricoles ou même solidaires, leurs choix tient plus de la raison que de la véritable passion. Ils désirent mettre leurs compétences au service d’une idée. La solution pour chacun est par conséquent dans la manière d’imaginer et de créer différentes options qui vont permettre de se remettre en dynamique à long terme. C’est avec des projets difficiles et exigeants que l’on parvient à se dépasser et à rompre avec la routine et la monotonie.
Sources : Cadremploi – Cegos – Kantar CFDT – Mobicadres